L’image des Palestiniens au cinéma est d’abord celle qui a été construite dans les années 1940-50 sur les restes des empires coloniaux : celle de silhouettes anecdotiques, petits paysans de passage, simples “réfugiés arabes”, cantonnés à l’arrière-plan de paysages grandioses. Il s’agissait alors de donner corps au fameux slogan : "Un peuple sans terre pour une terre sans peuple".
Pour briser cette image, affirmer leur existence et résister à l’occupation, les Palestiniens vont s’emparer de la caméra en même temps que des armes. Dès les années 60, quelques années après la création de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), la Palestine Film Unit est créée.
Les tout premiers films sont réalisés par des Palestiniens réfugiés dans les pays limitrophes ou par des cinéastes des pays arabes solidaires — tels Ali Siam, Kaiss Al-Zubaidi, Mustafa Abu Ali, Ghalib Sha’ath ou Ibrahim Abu-Nab. Au même moment, les empires coloniaux se fissurent et un vent de socialisme révolutionnaire souffle aux quatre coins du monde. La Palestine se trouve au cœur des solidarités internationales, épaulée par des cinéastes venus du monde entier.
Mais en 1982, le siège israélien de Beyrouth force la direction révolutionnaire palestinienne à s’exiler en Tunisie. Les structures de cinéma national et militant sont détruites, les films saisis par l’armée israélienne et les réalisateurs dispersés.
Dans un pays où faire un film relève de l’exploit, c’est dans l’exil que va émerger une nouvelle génération de cinéastes, mêlant désormais fiction et documentaire avec des ambitions à la fois cinématographiques, politiques et humanistes — comme Michel Khleifi, réfugié en Belgique depuis 1970, dont l’approche rompt avec celle, plus didactique, de l’OLP.
Entretemps, la collection de films documentaires disparue à Beyrouth finira par resurgir au fil du temps dans différents pays, au gré des liens révolutionnaires tissés à travers le monde.
Aujourd’hui, des cinéastes palestiniens ont choisi d’utiliser ces images préexistantes pour en faire la matière première de leurs films — comme Kamal Aljafari, Mohanad Yaqubi ou Reem Shilleh. D’autres, comme Mahmoud Al-Haj, choisissent de mêler archives personnelles, images satellites et captations militaires. D’autres encore, comme Theo Panagopoulos, revisitent directement les archives coloniales.
Contre les politiques coloniales qui confisquent l’histoire pour mieux éliminer toute présence du peuple palestinien sur ses terres, les démarches de ces cinéastes sont autant d’actes de résistance face à l’effacement programmé. Préserver ces images, les mettre en circulation, les réutiliser et se les réapproprier, c’est continuer à construire une mémoire collective.