Il y a trois vies de cinéaste dans le parcours d’Alain Cavalier. D’abord, celle qui suit la sortie de l’IDHEC (l’actuelle FEMIS), une vie faite de stars (Delon, Trintignant, Deneuve...), de plateaux encombrants et encombrés, d’équipes de tournage nombreuses et bruissantes, de producteurs, techniciens et tout le tintouin… Les deux premiers films, "Le Combat dans l’île" et "L’Insoumis", qui tournent autour de la guerre d’Algérie, étaient déjà sobres, épurés, étonnants. Mais le succès n’est pas tout à fait au rendez-vous. Quand il pointe son nez (après un polar et une adaptation plutôt ratée de "La Chamade"), c’est Cavalier qui disparaît. Quelques années. Fin de la première partie. En 1976, il a soif de naturel, veut fuir cette lourdeur. Avec Patrick Bouchitey, Etienne Chicot, Bernard Crombrey et Xavier Saint-Macary, ils co-écrivent "Le Plein de super", un road-movie à la fois frais et grincheux, tendre et loufoque. Seconde période d’un cinéma qui s’éloigne toujours plus des effets de mise en scène, s’allège des contraintes financières et techniques pour chercher le naturel, l’épure, les moments de vérité... Le plateau se vide avec "Thérèse". Les acteurs se taisent dans "Libera me"... Jusqu’à "La Rencontre" en 1996, premier film tourné en vidéo qui ouvre l’ère des journaux filmés, réalisé seul, caméra au poing, sans artifice, sans médiation, dans l’intimité d’une relation. La troisième période est commencée.
Grâce à la vidéo puis au numérique, avec des caméras de plus en plus légères, Cavalier a transformé sa pratique du cinéma en un artisanat, une écriture, un mode de vie où vivre et filmer sont un seul et même acte.
Mais le tout premier "journal intime" date de 1979 qui préfigure son cinéma à venir. Plongé dans la dépression et le deuil, Cavalier réalise "Ce Répondeur ne prend pas de messages", un film tourné-monté en 7 jours, radical comme un geste urgent et brûlant. Si ce premier autoportrait masqué était une œuvre sombre, les portraits suivants seront lumineux, légers, habités de cette grâce qui fait son cinéma. Cette manière d’aller caresser du regard le monde pour consigner la beauté des choses et des êtres, pour prendre avec délicatesse la mesure du temps qui passe, pour garder la trace des éclats éphémères.