En 2009, le Nova présentait "Beirut Mutant", une pluralité de regards sur Beyrouth, loin des images d’opulence dynamique et décomplexée que le Liban s’offre à coup de buildings modernes, de jeunes femmes souriantes et d’entreprises internationales - comme le bon élève de l’Occident capitaliste dans le monde arabe. Au fil de ce programme se dévoilait surtout une ville-fantôme, marquée par la guerre civile et ses rémanences, déchirée de toutes parts en frontières invisibles, flottante un peu, en sursis, déjà. Quelques dix années plus tard, rien n’a changé et tout s’accélère.
Depuis sa création, les soubresauts politiques ne cessent d’agiter ce petit pays pris en étau entre la Syrie aujourd’hui ravagée par la guerre - et qui fait affluer 1,5 million de réfugiés sur une terre qui compte 4 millions d’habitants - et Israël toujours sur le point d’attaquer. Déchiré par le communautarisme, les luttes d’influence et des enjeux géopolitiques aux méandres désormais infinis, le Liban oscille toujours au bord du gouffre, de crises en scandales politiques, comme autant de coups de tonnerre qui devraient entraîner sa chute, toujours sur le point d’advenir... Mais cette suite infinie de convulsions dont l’issue est toujours reportée, semble comme une agonie sans fin, la définition même d’une histoire, d’un état.
Crise des ordures, crise des réfugiés, esclavage moderne, crise urbaine, avortement des luttes sociales, le tout sur fond de capitalisme sauvage et de guerre civile menaçante, les films de ce programme - fictions, documentaires, animations, longs et courts métrages - rebondissent de crise en crise, avec colère, humour ou tendresse, témoignant d’une lucidité implacable et d’une soif de vie inextinguible. Même quand ils vont jusqu’à rêver cette fin qui ouvrirait d’autres possibles.
Et tandis qu’en Occident, crises économiques et états d’urgences n’en finissent pas de prendre leurs aises, instillant tranquillement de nouvelles formes de gouvernance, le Liban, même avec son histoire bien singulière, préfigure peut-être un avenir bientôt commun, le laboratoire d’un demain qui s’avance, à peine voilé ?