Irak, 2003. Tandis que l’Amérique de Georges W. Bush se prépare à la guerre, que les bombes, les soldats, les tractations diplomatiques sont en marche, à Bagdad, la vie suit son cours. Dans la famille d’Abbas Fahdel, on a l’habitude de la guerre. Il y a eu celle contre l’Iran, puis celle contre le Koweït qui a valu de nombreuses années d’embargos, de misères et de famines à l’Irak. Alors on s’organise. Dans le jardin, on creuse un puit ; l’eau pourrait venir à manquer. On colmate les vitres que les bombardements font exploser. On achète des couches au cas où des gaz meurtriers se répandent dans la ville. On prépare les examens de fin d’année tout en se demandant s’ils auront lieu... A la télévision, Saddam Hussein discoure et se pavane. Les manifestations dans le monde entier contre l’invasion américaine défilent. Une famille entière, une ville, un pays, attend le feu, les bombes, la mort.
"Homeland" se divise en deux parties. La première est celle d’un quotidien sous le signe de cette guerre annoncée. Dans la famille du réalisateur qui la filme, on se livre en toute confiance. Longs travellings, larges plans-séquences, plans fixes suspendus aux minutes qui s’égrènent sous le soleil impassible, "Homeland" s’étire dans la durée du présent. Alors les conversations, les instants anodins, les jeux des enfants construisent le temps de l’intimité, de la familiarité. Et puis les bombes pleuvent. C’est le noir. Le film est désormais coupé en deux. Le temps aussi. Une autre vie commence : celle de l’occupation et des ruines, de la violence qui monte de toutes parts, des difficultés sans fin. Le film reprend les chemins empruntés dans la première partie. Les mêmes bâtiments sont désormais troués. Les mêmes routes barrées par les tanks de l’occupant. Les corps sont blessés. Les âmes meurtries. La propagande télévisée et la terreur de la dictature ont fait place aux langues déliées, aux pulsions de revanche, à la soif de biens. Le temps de la vie courante a fait place à une temporalité qui ne passe plus, qui grippe et se répète sans cesse. Le temps des traumatismes.
Œuvre monumentale, couronnée par la critique, inspirée à la fois par le chef-d’œuvre de Roberto Rossellini, "Allemagne : année zéro" et la série "Heimat" d’Edgar Reitz, "Homeland" est un véritable geste cinématographique qui donne corps et visages aux victimes de cette guerre interminable, pour les rendre à leur humanité, c’est-a-dire, irremplaçables.