Dans le prolongement de sa programmation de l’été dernier autour du "miniring" de la Ville de Bruxelles, l’équipe du Nova a réagi le 2 octobre 2015 aux deux enquêtes publiques du réaménagement des boulevards du centre ville en piétonnier. Découvrez ci-après sa réaction (PDF disponible en fin de texte).
Bruxelles, le 2 octobre 2015
Observations et réclamations de l’ASBL Nova aux enquêtes publiques PU B918/2015 et PU D928/2015
1. Préambule
Le Cinéma Nova a ouvert en janvier 1997 en plein centre de Bruxelles, dans l’ancienne salle du Cinéma Arenberg qui avait été laissée à l’abandon depuis 1987. Depuis près de 20 ans, le Nova propose une programmation, inédite en Europe, dédiée aux films et vidéos de productions indépendantes et qui attire annuellement un public d’environ 20.000 spectateurs (dans la salle, et probablement le double en comptant les activités d’accès libre du foyer). Soutenu par les deux communautés linguistiques et par la Ville de Bruxelles, il est géré par une association sans but lucratif animée par un large collectif d’individus travaillant en grande partie de manière bénévole.
Un de nos centres d’intérêts a toujours été l’urbain et l’espace public, domaines que nous investissons notamment chaque année avec le festival PleinOPENair. Nous partageons le désir de diminuer la pression automobile en ville, notamment en écartant du centre le flux de voitures qui polluent nos rues et nos poumons depuis des décennies. Nous comptons donc parmi les Bruxellois enthousiastes à l’idée de rendre davantage d’artères piétonnes, et qui trouvent que le piétonnier testé actuellement apporte son lot de bonnes surprises, comme la mixité sociale étonnante qui s’y déploie chaque jour.
Par contre, ce projet nous semble être mené sans volonté d’écoute et de dialogue de la part du Collège des Bourgmestre et Echevins. Ainsi, la présente enquête publique ne porte aucunement sur le nouveau « plan de circulation du Pentagone » qui accompagne le piétonnier — alors que l’ensemble devrait, selon la loi, être soumis à une étude d’incidences et à une concertation avec les premiers concernés : les habitants et usagers du Pentagone. Par ailleurs, les demandes de permis de réaménagement des boulevards centraux et de la place de la Bourse sont introduites alors que la période de test entamée le 29 juin est loin d’être terminée (elle doit durer jusque février 2016). Or, l’expérience s’accumule et de nombreuses remarques et critiques sont déjà émises. Nous pouvons les entendre tant par voie de presse, qu’à travers les réseaux associatifs dont le Nova fait partie, ou simplement de la part de nos propres membres ou spectateurs. Elles portent certes sur le piétonnier, mais aussi en large part sur les problèmes engendrés par le plan de circulation qui lui est intimement lié et sur le projet de 4 nouveaux parkings souterrains. Elles sont souvent inscrites dans le souhait, auquel nous souscrivons, que la présentation qui est faite du piétonnier par les autorités, comme un moyen de favoriser la mobilité douce et de diminuer la pollution, ne reste pas à l’état de vœu pieux.
Afin de ne pas laisser ce débat occulté, nous profitons de ce moment de démocratie qu’est la présente enquête publique pour réagir y compris sur les questions de mobilité.
2. Rapports (sans étude) d’incidences
Bien que l’art. 128 à 141 du Code Bruxellois pour l’Aménagement du Territoire prévoit une "étude d’incidences" pour des projets d’une telle ampleur, avec notamment un comité d’accompagnement qui rédige le cahier des charges et désigne un chargé d’études, ce sont deux bureaux d’études privés, Sum Project et Greisch bgroup, qui ont finalement réalisé des "rapports d’incidences" simplifiés, sous mandat de la Ville de Bruxelles (selon l’art.142 à 147 du CoBAT). Et de comprendre en lisant ces derniers, que leur mission ne dépasse pas le périmètre de l’aménagement des boulevards, et encore sans tenir compte des impacts socio-économiques. L’évaluation des incidences causées par ce piétonnier au-delà de son périmètre restreint est donc ignorée, puisque le plan même de circulation en cours de test est considéré comme acquis.
Nous ne pouvons que protester contre ce déni de démocratie, puisqu’à l’instar de nombreuses autres rues périphériques du piétonnier, la rue d’Arenberg subira sans autre forme d’études ou de concertation les conséquences néfastes de ce plan de mobilité, s’il n’est pas modifié.
L’ASBL Nova estime donc légitime de faire part ici de ses remarques et griefs concernant les modifications de circulation et les aménagements apportés dans la rue d’Arenberg et ses rues adjacentes, même si elles sont écartées de la présente enquête publique.
3. Mobilité (aigre-)douce
3.1. Piétons vs trafic
Situé au n°3 de la rue d’Arenberg (prolongation de la rue de l’Ecuyer), et occupant également des bureaux dans cette même rue, le Nova est bien placé pour témoigner de la vie de cette longue et étroite artère. Dans les années 1990, pas grand monde ne s’y aventurait, à part les clients de La Mort Subite, les spectateurs du Théâtre des Galeries, les touristes cherchant leur chemin et les automobilistes. Depuis trop longtemps, cette rue a comme fonction principale d’être une autoroute reliant le bas au haut de la ville, hostile aux piétons, cyclistes, habitants et travailleurs qui doivent circuler sur des trottoirs étroits et faire face à un des taux de pollution les plus élevés du centre-ville (comme en témoignent les façades noircies des bâtiments). La pollution sonore est telle qu’aux heures de pointe, les spectateurs entendent les klaxons jusque dans la salle de cinéma.
D’où l’étonnement, largement partagé tant au sein de notre équipe que de notre public, en découvrant le nouveau « plan de circulation du Pentagone » qui condamne les rues d’Arenberg et de l’Ecuyer, parmi d’autres, à être davantage encombrées et polluées par le trafic automobile.
Pendant la phase test (excepté durant les vacances d’été), la circulation aux heures de pointe y est encore plus infernale, à l’instar de la pollution atmosphérique et sonore.
Le fait d’avoir rendu cette voie à sens unique, la rend davantage dangereuse pour les piétons. Malgré qu’une des 2 bandes est censée n’être dévolue qu’aux bus, vélos et taxis, elles peuvent devenir une autoroute urbaine lorsque le trafic est justement moindre. Aucun aménagement n’incite les automobilistes à respecter les 30km/h autorisés, ni n’empêche d’emprunter le site propre du bus qui respecte en général cette limite (comme les vélos mais à l’inverse des taxis).
C’est d’ailleurs aux heures tardives, lorsque les spectateurs du Nova sont nombreux à prendre "l’air" sur le trottoir entre 2 projections, que les véhicules prennent de la vitesse. Cela est d’autant plus dangereux que le Nova est situé juste après un coude de la rue de l’Ecuyer se transformant en rue d’Arenberg, limitant ainsi le champ de vision des automobilistes par rapport aux passants.
En descendant la rue, le trottoir devient aussi particulièrement étroit à plusieurs endroits, notamment au niveau du restaurant Arcadi, ou après les Galeries de la Reine. Or, nous sommes en plein dans le parcours touristique qui mène de la place de la Monnaie à la Cathédrale Sainte-Gudule en passant par les Galeries de la Reine. Il est donc fréquent d’y voir des groupes qui débordent des trottoirs sur la rue…
3.2. Vélos vs STIB vs trafic
Notre public vient essentiellement au centre-ville par 2 moyens de locomotion : le vélo et les transports en commun.
Le premier est paradoxalement écarté du mini-ring, le second perd en efficacité comme la pratique et de récentes études l’ont démontré (retards de bus, retrait de bus, accès amoindri des stations notamment pour les personnes âgées).
Ainsi, les vélos ne peuvent plus emprunter la rue d’Arenberg du haut vers le bas de la ville. Pour accéder au Nova, et donc au centre par le haut de la ville, il faut dorénavant emprunter la rue d’Assaut, puis bifurquer à gauche rue Montagne aux Herbes Potagères, pour enfin reprendre la rue d’Arenberg. Cela est sans doute un petit détour, mais c’est nettement moins pratique en comparaison avec la situation précédente, surtout pour continuer vers le centre-ville.
La descente de la rue Montagne aux Herbes Potagères se transformant en rue Fossé aux Loups jusqu’à place De Brouckère sur 2 bandes n’a cette fois aucun site propre réservé aux bus/vélos/taxis. La vitesse y est bien plus élevée que la voie montante formée par les rues de l’Ecuyer et d’Arenberg, sans oublier que ni une véritable piste cyclable, ni de simples marquages au sol n’ont été apposés dans ces larges rues...
Une réelle piste cyclable serait d’ailleurs à créer dans chaque site propre aux bus/vélos/taxis. Car il est courant que les véhicules motorisés que sont les bus de la STIB et les taxis frôlent dangereusement les cyclistes en les dépassant. Un minimum de balises au sol dissuaderait en partie ces désagréables comportements qui sont autant d’infractions au code de la route.
Enfin, pour revenir à la STIB, ses bus sont freinés par les chargements-déchargements, nombreux dans notre rue et celle de l’Ecuyer où se côtoient en rang serré Horeca, commerces, lieux culturels et bureaux. Les ralentissements des transports en communs ont empiré depuis que les livreurs doivent s’arrêter sur la bande des bus/vélos/taxis, côté de la rue où la majorité des établissements se trouvent.
L’état actuel de la circulation nous semble donc pire, surtout du point de vue des cyclistes, depuis la création de ce mini-ring à sens unique et sans site propre pour les vélos.
3.3. Parkings vs vélo
L’ASBL Nova a demandé à la Ville de Bruxelles, en date du 28 août 2013, d’installer des parkings vélos supplémentaires dans son quartier fort fréquenté vu les nombreuses activités alentours (Nova, Théâtre des Galeries, commerces, horeca, tourisme, etc). II n’y a que 2 malheureux emplacements vélo actuellement, juste à côté des emplacements privatisés des 25 Villo au début de la rue Montagne aux Herbes Potagères, en face du café La Mort Subite. La réponse de la Ville fut négative, au motif qu’il n’y avait pas de place pour cela.
Et voilà que l’on découvre fin juin 2015, la création d’un long arrêt de bus à la place de l’espace de chargement/déchargement au niveau des anciens bureaux de la banque KBC, à 15m du Nova, endroit idéal pour y apposer des... parkings vélos. Heureusement, quelques panneaux de signalisation supplémentaires agrémentent le mini-ring, proposant donc une série de nouveaux poteaux pour y accrocher des vélos (malgré le risque que ces derniers soient endommagés en tombant sur le sol, ce qui est souvent le cas vu l’instabilité de ces parkings précaires).
3.4. Parkings vs piétonnier
Les plans actuels de la Ville comportent le paradoxe suivant : adhérer à leur philosophie telle qu’elle nous est présentée (favoriser la mobilité douce, améliorer la qualité de l’air, etc.) ne peut mener qu’à contester de larges pans de ce programme. Et particulièrement la création des nouveaux parkings souterrains dans le Pentagone. Ces parkings occasionneraient de longs et lourds travaux synonymes d’importantes nuisances dont les habitants seraient les premiers à payer les frais, ils défigureraient des places historiques du centre-ville et s’inscriraient de toute évidence en porte à faux avec les objectifs de réduction de la pression automobile du plan régional Iris 2.
La Ville ne nous rassure aucunement lorsqu’elle annonce qu’elle sollicitera les automobilistes récalcitrants par un système de guidage à emprunter la « boucle de desserte » vers tous ces parkings, futurs ou existants… C’est-à-dire, encore plus de voitures sur le mini-ring, notamment sur les rues de l’Ecuyer et d’Arenberg.
Ici encore, il est à déplorer qu’aucune étude n’objective le taux d’occupation actuel des parkings existants (les seuls chiffres disponibles nous disent qu’ils affichent rarement complet dans l’année) ni l’utilité de nouveaux parkings. Au contraire, la société de quasi-monopole Interparking a elle-même reconnu que ses parkings du centre-ville ont perdu près de 20 % de leur occupation depuis juillet, et même 50 % pour celui qui est situé dans le bas de la rue de l’Ecuyer, par rapport à l’année dernière.
4. L’aménagement du piétonnier
Il est de notoriété publique qu’un des principaux risques d’une piétonnisation est de favoriser certaines activités et certains types de commerces, à savoir les chaînes avec contrats de franchise. Tous les exemples d’artères piétonnes au centre de Bruxelles le confirment : elles ne sont plus aujourd’hui que des rues commerçantes et touristiques dédiées tantôt à la restauration (rue des Bouchers), tantôt à l’habillement (rue Neuve), aux souvenirs et à la confiserie (autour de la Grand Place), ou encore à la parfumerie et commerces dérivés (rue des Fripiers). Cela se fait aux dépens de la richesse d’un centre-ville pourvu de lieux culturels, de services et de commerces de proximité nécessaires à la vie quotidienne (par exemple : alimentation polyvalente, artisans, pharmacies, libraires et disquaires, magasins de seconde main, etc.), mais aussi de véritables espaces publics permettant à différents usages de se déployer, notamment marcher, se rencontrer, discuter, se poser, en dehors d’une démarche consumériste.
L’aménagement d’un piétonnier, surtout de cette ampleur, est déterminant dans les usages qui peuvent être faits d’un espace public. L’aménagement proposé aujourd’hui nous paraît incompatible avec cette volonté de variété des fonctions, des publics et des usages. A l’opposé de ce qui a été expérimenté lors des premiers mois de la phase test (bancs publics, tables de ping-pong, terrains de pétanque, podium libre, etc.), ce projet d’aménagement incite à la séparation entre les différents usages (répartition en zones de lèche-vitrines, de circulation et de séjour) et à la privatisation de l’espace public (terrasses, activités événementielles). Le design et l’inconfort du mobilier urbain proposé et son agencement favorisent un passage rapide et impersonnel, s’adressant aux chalands plutôt qu’aux habitants recherchant le repos et la convivialité.
Enfin, nous doutons fortement :
- de la solution visant à créer une zone centrale de circulation partagée entre les piétons, les cyclistes, les taxis, les services de secours et les convois exceptionnels, et d’autant moins si cette zone est revêtue de pierre bleue, matériau glissant et rapidement usable ;
- de l’intérêt de créer des parkings vélos souterrains, qui semble basé sur une méconnaissance de l’usage du vélo. C’est plutôt du côté des principales gares de la ville qu’il faudrait créer de tels parkings. Sur le piétonnier, c’est davantage d’arceaux en surface qui sont nécessaires, permettant un stationnement aisé des vélos, gratuitement et à toute heure du jour et de la nuit. Le nombre d’arceaux vélo prévus en surface est nettement insuffisant (81 arceaux), il devrait y en avoir tout au long du piétonnier et ils ne devraient pas être limités à un stationnement de courte durée. Quant au modèle d’arceau prévu, nous demandons qu’il soit remplacé par un modèle répondant aux exigences du vadémécum "stationnement vélo" régional.
En tant qu’opérateur culturel du centre-ville et en tant qu’habitants de la région bruxelloise, nous aspirons à un espace public qui favorise l’appropriation du centre-ville par les habitants de tout Bruxelles et qui soit aussi conçu pour les habitants du quartier. Nous demandons la révision de cet aménagement à l’aune de ces remarques.
5. Conclusion
Pour toutes ces raisons, il nous apparaît que donner le feu vert au piétonnier tel que présenté dans les demandes de permis PU B918/2015 et PU D928/2015, serait à la fois incohérent en terme de plannification et contre-productif en termes urbanistique et démocratique. Nous souhaitons un piétonnier pensé pour et avec les habitants, commerçants et usagers du centre-ville, ce qui n’est pas proposé actuellement. Nous associons donc notre voix à celles qui réclament une étude d’incidences et une enquête publique portant sur l’ensemble du programme (piétonnier, plan de mobilité, parkings) et sur tous ses volets (urbanisme, mobilité, qualité de l’air, socio-économique, etc.).
En vous remerciant de votre attention,
L’équipe du Cinéma Nova