Atrophiée par la récession économique, mal aimée du pouvoir royal, Tanger s’est métamorphosée. Misant sur son statut de charnière entre deux mondes, sur son nouveau port et sa Zone franche, la métropole se transforme en base arrière industrielle de l’Europe…
En 2001, alors qu’elle tourne un documentaire sur les immigrés tentant de traverser clandestinement la Méditerranée, Leïla Kilani découvre ces armées d’ouvrières qui engorgent la ville dans un va-et-vient quotidien. En 2011, elle consacre son premier film de fiction à ces femmes dont l’obsession est de trouver un travail stable. La Zone franche est leur Eldorado. Elles y sont réparties en deux castes : les "textiles", payées à l’heure, et les "crevettes", payées à la tâche mais devant supporter l’odeur infamante du crustacé qui leur colle à la peau.
Badia et Imane sont "crevettes" et rêvent de devenir "textiles" comme Asma et Nawal. À une cadence galvanisante, ces jeunes filles travaillent pour survivre le jour et vivre la nuit, pratiquant la débrouille (prostitution, arnaques…) et traçant leur route dans la jungle de l’économie libérale. Petites bombes portées par l’énergie du désespoir, interprétées par des comédiennes amateures, elles pulvérisent les idées reçues sur la "femme arabe" et électrisent le spectateur avec leur flow d’enfer.
Tourné en immersion dans la rue tangéroise, dans la lutte des classes et des sous-classes, "Sur la planche" (expression signifiant "sur la corde raide") porte sur ses personnages un regard tout sauf misérabiliste. Comme le dit Badia : "Je ne vole pas, je me rembourse. Je ne cambriole pas, je récupère. Je ne trafique pas, je commerce. Je ne me prostitue pas, je m’invite. Je ne mens pas, je suis déjà ce que je serai. Je suis juste en avance sur la vérité, la mienne".