Oberhausen, prononcez ˈOːbɐˌhaʊzn, est une ville de province de la région de la Ruhr à l’ouest de l’Allemagne. Le monde entier la découvrit sous une lumière plutôt amusante lors de la Coupe du monde 2010 : son aquarium public abritait Paul le poulpe qui nous prédisait avec exactitude les résultats des matchs de foot (!). La ville est autrement et plus sérieusement connue pour son festival de courts métrages établi en 1954. Considéré comme un des plus vieux et plus importants festivals de cinéma au monde, les "Internationale Kurzfilmtage Oberhausen" ont vus passer des réalisateurs aussi divers et marquants que : Werner Herzog, Roman Polanski, Wim Wenders, Chris Marker, Joris Ivens, Martin Scorsese, Stan Brakhage, Keneth Anger, Vera Chytilova… Impossible de vous citer tous les auteurs majeurs et mineurs qui ont marqué ce festival qui en soixante ans n’a rien perdu de sa convivialité et de sa pertinence. Dans la "Mecque du court métrage", comme d’aucuns ont parfois défini ce festival, il est avant tout question de "Cinéma", le format court y étant présenté comme une de ses possibles formes d’expression et non pas comme simplement un format à la durée courte et contraignante. Le festival n’a rien perdu non plus de son esprit moderne et visionnaire, car encore aujourd’hui nombreux sont les réalisateurs qui y sont découverts avant de circuler dans des festivals du monde entier. C’est par exemple ici qu’il y a quelques années nous découvrîmes Miguel Gomes, réalisateur du film "Tabu" que nous présenterons en janvier prochain.
Festival qui n’a pas froid aux yeux, il a été théâtre de quelques grands coups d’éclat, tel que le "Manifeste d’Oberhausen" qui donna naissance au nouveau cinéma allemand des années ’60 et puis ’70. Le Manifeste fêtait cette année ses 50 ans. Nous nous joignons aux festivités !
"Le cinéma d’Allemagne de l’Ouest s’enlise dans une voie sans issue" s’écriait Chris Marker en 1954 dans la revue Positif. Pas question pour les jeunes auteurs allemands de se laisser embourber, mais bien de se battre pour affirmer une liberté artistique face aux longs métrages jugés conformistes de leurs aînés et à la mainmise de ces derniers sur les appareils de production cinématographique, dans une Allemagne n’ayant encore pas totalement fait ses adieux au passé. Leur engagement passe d’abord par l’expérimentation individuelle, via des courts métrages souvent autofinancés dans lesquels ils rivalisent d’audace et de créativité, puis par le collectif, au sein du groupe D.O.C. 59 et surtout en appelant, dans un Manifeste signé pendant le festival d’Oberhausen de 1962 par 26 réalisateurs, à la prise de pouvoir d’un Nouveau cinéma allemand libre dans sa forme et indépendant économiquement. Cet appel débouchera en 1965 sur la création d’un fonds de soutien au jeune cinéma allemand (Stiftung Kuratorium junger deutscher Film). À l’occasion du 50ème anniversaire de la publication du Manifeste, le festival international d’Oberhausen a lancé un vaste programme de restauration de ces magnifiques courts métrages. Le P’tit Ciné s’associe au cinéma Nova et à la Cinematek pour vous proposer un cocktail de films dont l’audace transcende les genres cinématographiques.
En bonus….
En bonus à cette programmation "anniversaire", trois séances spéciales pour mieux cerner la liberté de ton alors en vigueur chez cette nouvelle génération de cinéastes. Pour commencer, un focus sur le signataire le plus connu, le plus actif aussi et sûrement le plus polémique : Alexander Kluge. Les trois films présentés, portraits oscillant entre fiction et documentaire, sont des perles des années 1960 rarement montrées. Ensuite, pleins feux sur le rôle joué par le festival EXPRMNTL de Knokke-le-Zoute dans la découverte des nouveaux talents allemands. Pour ce faire, nous vous présentons une compilation de courts métrages qui y furent montrés en 1963. Enfin, nous pénétrerons dans les coulisses du festival d’Oberhausen où Jean-Marie Straub n’a cessé de mener des actions de contestation à l’encontre des décisions de la direction de l’événement (distribution de tracts, projections parallèles...). En 1965, par exemple, il organisa une séance de minuit dans le cadre de laquelle furent projetés les films magnifiques de cinéastes dont le travail était alors peu reconnu, tels Peter Nestler et Rudolf Thome. Entre animation, expérimental, documentaire et fiction...
"Il est certain que toute évocation de l’histoire du cinéma allemand doit commencer un nouveau chapitre lorsqu’elle arrive au Manifeste d’Oberhausen. Le Manifeste d’Oberhausen a eu des répercussions multiples en son temps et bien au-delà. C’était la première éruption d’un mouvement de protestation, un symbole d’espérance – ou bien il a été considéré comme tel. Il présageait d’un changement de climat qui est allé au-delà de la RFA, qui a inspiré ou anticipé d’autres évolutions cinématographiques à l’étranger." (Ulrich Gregor/ Berlin Film Festival)
Oberhausen heute….
Cette rétrospective autour du Manifeste sera aussi l’occasion de faire une incursion dans le travail éditorial que le festival développe aujourd’hui, en vous proposant un focus sur trois auteurs allemands contemporains : Michel Klöfkorn, Rainer Komers, et Carsten Aschmann. Un des mérites du festival est en effet de suivre sur plusieurs années le parcours d’ auteurs qui par leurs approches innovent le langage cinématographique. Contrairement à d’autres festivals qui ne misent que sur la quantité de films programmés et sur le nombre de spectateurs, à Oberhausen c’est le souci de contextualiser le cinéma qui compte. Ainsi, "cinéma contemporain" et "cinéma d’hier" s’y côtoient sans embarras, et les programmations peuvent y être tour à tour sérieuses ou ludiques, sagement intellos ou audacieusement insolentes. Dans la myriade d’activités parallèles que mène le festival, il faut savoir qu’à Oberhausen se trouve aussi une des plus riches collections européennes de courts métrages des soixante dernières années. Nous vous en présenterons quelques perles lors de la séance "Surreal/Political".
Vous voilà donc prévenus : un rendez-vous à ne pas rater, explosion des genres garantie !
(Voir aussi la séance de films pour enfants liée au festival)