Cette programmation aurait très bien pu ne pas voir le jour. Ne pas avoir lieu ici. Voire, ne pas avoir lieu du tout. Quand le 31 décembre 1996, avec un collectif de bénévoles certains d’entre nous inauguraient le Cinéma Nova, le projet était précaire, la salle n’était mise à notre disposition que pour environ deux ans. Sans doute qu’aucun d’entre nous ne devait, ce soir-là, projeter ni sa propre présence dans ces murs ni le développement de ce projet de "cinéma d’urgence", jusqu’en 2010 et au-delà. Dans un même ordre d’idées, quand une bonne quinzaine d’années plus tôt, d’autres collectifs de bénévoles, d’une autre génération, mettaient en place les radios libres dont nous fêtons cet hiver les trente ans, aucun d’entre eux ne devait non plus se projeter jusqu’en 2010, ni même sans doute jusqu’en 1996. À vingt ans on ne passe pas trop de temps à s’imaginer à l’âge de cinquante ans, surtout quand c’est l’excitation du passage à l’acte qui prime (voir, par exemple, les très émouvantes images Super 8 de l’érection collective du pylône d’émission de Radio Città Futura dans le film de Donata Gallo). Sans compter que l’ombre menaçante de la Régie des télégraphes et téléphones (RTT ; ancêtre de Belgacom et de l’IBPT) est là, tapie dans le noir, pour rappeler le caractère illégal (donc fragile et risqué) de ce genre d’initiatives. Avant de s’imaginer trente ans plus tard, il s’agit dans un premier temps, avant tout, de tenir jusqu’au lendemain ; sans se faire saisir son émetteur et d’autres types de matériel. D’où, par exemple, une stratégie d’itinérance et de déplacement quotidien du site d’émission qu’appliquait Radio Eau noire à Couvin et qu’on retrouve, dans les films programmés ici, chez Radio verte Fessenheim filmée par les Dardenne, dans la fiction de Bethel Buckalew ou à la fin de celle de Lizzie Borden.
À la période de tolérance chaotique qui a suivi, dans les années 1980 à 2000 - la grande majorité des radios, surtout commerciales, poussant sans cesse la puissance de leur émetteur pour essayer de mieux se faire entendre au sein de la jungle des ondes, en écrasant leurs voisins au passage et en entretenant le cercle vicieux du brouillage quasi généralisé - a succédé, en Communauté française en tout cas, une nouvelle ère de légalisation et d’encadrement administratif, avec le Plan de fréquences de 2008. À cette occasion, l’idéal "d’éducation populaire" des radios associatives et d’expression des premiers temps s’est retrouvé traduit (en "éducation permanente") dans un texte de loi. Fin d’une époque ? Nouvelle donne ? Remise à zéro des compteurs ? Cela n’a finalement pas été fort discuté par les animateurs et les auditeurs des radios concernées (dont beaucoup n’ont d’ailleurs pas connu la période 1979-1981). Surtout que se profile déjà une autre mutation "technico-législative" de taille pour les années à venir : la fin programmée de l’émission sur la bande FM et le passage à la radio numérique. Une radio du futur gratuite comme nous l’avons toujours connue ou payante comme le demandent les opérateurs commerciaux ?
Fêter la radio (média du son, sans images) dans un cinéma, c’est, au-delà du paradoxe, l’envie de faire sortir les animateurs de leurs studios et les auditeurs (et non-auditeurs, d’ailleurs) de leurs logis, pour qu’ils se rencontrent et discutent ensemble du présent et du futur d’un médium qui nous tient toujours à cœur. Exemples à l’appui et en prenant du recul (par une mise à distance tant historique que géographique) bien sûr, parce qu’on ne peut pas vraiment penser les choses en ayant sans cesse le nez dessus ni, par ailleurs, rêver son futur en méconnaissant son passé.