Pour une fois nous ne sommes pas sur une de ces fameuses zones d’intérêt régional, identifiées par le Plan de développement international comme digne d’attirer les investisseurs. Le site des anciens entrepôts Godin, d’environ 5 ha, est pourtant coincé entre le canal et les voies ferroviaires, deux éléments dignes d’en faire un site stratégique à l’instar de Tour et Taxis et de Schaerbeek-Formation. La Senne frémit en souterrain juste derrière le site. Le marché matinal et le centre européen de fruits et légumes sont ses premiers voisins. Juste en face, de l’autre côté du canal, nous apercevons le parc du Domaine Royal.
Les poêleries Godin ont pris place à cet endroit en 1858, succédant à une fabrique d’indiennerie (textile) datant de 1829. Le bâtiment, toujours existant, surnommé la « cathédrale » est probablement le dernier témoin industriel bruxellois de cette époque. Godin était un industriel adepte du mouvement du ’socialisme utopiste’, précurseur des tendances auto-gestionnaires. Il envisagea son usine comme un « Palais social » (voir le site connu de Guise en France) combinant lieux de production et d’habitation (logements, crèches, jardins, écoles). Le seul bâtiment classé de cet ensemble est aujourd’hui le corps de logements dénommé Familistère, appartenant aujourd’hui au CPAS de la Ville de Bruxelles.
Cette entreprise coopérative associant les travailleurs au devenir de l’industrie ferma ses portes en 1968. Le site resta occupé, aux mains d’acteurs privés qui y maintinrent une activité de petite industrie, tournant actuellement autour de la récupération de pièces automobiles et du recyclage de pneus.
C’est sur ce site chargé d’histoire industrielle que le PleinOPENair viendra poser son écran le temps d’un week-end. Profitez-en car des projets d’envergure se dessinent sur le lieu faisant table rase du passé. Exit Godin et son architecture industrielle sociale. Place au ’fun-shopping’ !
En effet, depuis deux ou trois ans, le site a été racheté par le groupe Mestdagh, filière bien connue de la grande distribution alimentaire, associé au groupe immobilier Equilis et lié à Fortis Real Estate. Equilis est promoteur de nombreux projets commerciaux à Verviers, Charleroi, Rixensart...
Le groupe ne compte donc nullement installer au bord du canal un de ces bons vieux supermarchés de l’alimentation (il est vrai que le site s’y prête peu), mais bien un méga-centre commercial de 50.000 m2 (pour les ordres de grandeur, le City 2 en fait 35.000) avec des unités de plus de 500 m2 susceptibles d’attirer de grandes enseignes comme Décathlon. Pour attirer le chaland, le projet se complète d’un centre de welness et se voit baptiser du doux nom de « Just under the sky » : « Rire, jouer, flâner, se divertir, rencontrer, rêver. En chacun de nous sommeille un enfant qui s’envole dans l’azur du ciel, se glisse dans le bleu profond de l’eau » (texte de présentation du projet à la presse, novembre 2008). Le projet censé créer, selon ses concepteurs, un trait d’union entre la périphérie et la ville, se présente comme une structure massive repliée sur elle-même, atteignant jusqu’à 30 m de haut et entouré de 1740 places de parking. Feu Godin doit se retourner dans sa tombe. Et les petits noyaux commerçants rayonnant aux alentours (De Wand, Helmet et Marie-Christine) ne doivent pas en mener large. Dans ces quartiers, de 1950 à aujourd’hui, le commerce s’est réduit de moitié, les grandes structures mangeant les petites. C’est ce que les professionnels du terrain appellent eux-mêmes la cannibalisation. Dans le même temps, les centres de beauté et autres sauna ont été multipliés par 10 alors qu’ils sont fréquentés uniquement par une clientèle très argentée.
Les ambitions de Mestdagh ne s’arrêtent pas à cette portion de 5 ha au bord du canal. A terme c’est toute cette rive, allant jusqu’au square De Trooz, qui pourrait se voir délestée de son affectation économique et industrielle pour y recevoir du logement de standing, comme l’envisage aussi le promoteur Aténor quelques dizaines de mètres plus loin. Espérons que la Ville de Bruxelles et la Région ne cèdent pas une fois de plus au chant des sirènes et laissons-nous emplir, au moins le temps d’un week-end, de toute cette force du passé industriel du canal de Bruxelles.
Pour la visite du site du Familistère de Godin et ses entrepôts, rendez-vous le samedi 1/8 à 16h45 devant le Familistère 158 Quai des Usines.