"Servons-nous d’une métaphore géographique et assimilons la vie du moi au Vieux Monde", écrivait Aldous Huxley. "Nous quittons le Vieux Monde, nous traversons un océan et nous nous retrouvons dans le monde du subconscient individuel avec sa flore et sa faune de refoulements, de conflits, de souvenirs traumatiques, etc. Si nous poursuivons notre voyage, nous atteignons une sorte de Far West où vivent des archétypes jungiens et les matières premières de la mythologie humaine. Au-delà de cette région s’étend un vaste océan Pacifique. Emportés par-delà, sur les ailes de la mescaline ou de l’acide lysergique diéthylamide, nous arrivons dans ce qu’on pourrait appeler les Antipodes de l’esprit. Dans cet équivalent psychologique de l’Australie, nous découvrons l’équivalent des kangourous, des wallabies et des ornithorynques à bec de canard - toute une quantité d’animaux extrèmement improbables qui existent néanmoins et qu’on peut parfaitement observer". Depuis la nuit des temps, l’homme a voyagé dans ces antipodes sur les ailes de diverses plantes que lui offrait la nature. La quasi-totalité des cultures premières a exploré ces contrées de l’esprit avec un courage mêlé de crainte. Dans le monde entier, les aborigènes ont apprivoisé ces états de conscience par le rituel, et ont su en tirer parti notamment pour renforcer la cohésion sociale et pour guérir le corps et l’âme. Dans les cultures traditionnelles, on ne trouvait ni drogues ni toxicomanies... jusqu’aux colonisations et à l’irruption de la civilisation technologique. L’une des définitions de cette civilisation pourrait justement être la perte de l’usage des moyens de transports vers les antipodes, l’oubli même de l’existence de cette région obscure de la conscience, et la diabolisation de tout ce qui y a trait. S’ensuit inéluctablement un mouvement de balancier entre répression des voyageurs téméraires qui transgressent l’interdit et expression du besoin de dépassement de la réalité quotidienne. Après la déferlante hippie des années 60 et la culture psychédélique dont elle a accouché, l’excès répressif a repris le dessus.
A l’aube du troisième millénaire, le balancier repart lentement dans l’autre sens, suivant deux voies distinctes. La recherche scientifique sur les substances psychédéliques, d’une part, est lente et ardue. De plus, elle passe probablement par une révolution culturelle pour laquelle le monde de la science n’est peut-être pas mûr. C’est pourtant une voie cruciale pour l’Occident, puisque la science est son mode de connaissance privilégié. L’autre voie est moins austère et plus chaotique, et elle est empruntée par un nombre croissant de curieux en recherche. Elle passe par un retour à l’expérience et aux rituels, au sens strict ou au sens large. Raves, néo- et technochamanisme, "tourisme chamanique" vers l’Amazonie, etc., dénotent une attirance irrépressible envers les antipodes de l’esprit, et révèlent un besoin nié par une civilisation qui, dans sa course à la marchandisation, a qualifié les plantes de produits, voire de drogues. La redécouverte des antipodes de l’esprit par la culture actuellement dominante est un défi majeur de notre époque. Peut-être est-il temps que le système se regarde dans le miroir et s’effraye de ce qu’il y voit.
Dans l’immédiat, le miroir que nous vous tendons est principalement cinématographique. "Pupils wide open" consiste en une série de films documentaires et de fiction qui se situent sur trois axes différents (voir ci-dessous). Certains plongent dans les racines de la découverte du "monde autre" et explorent les usages traditionnels et leurs résurgences contemporaines. D’autres éclairent l’intérêt scientifique pour les états psychédéliques et retracent les recherches d’hier et d’aujourd’hui, ainsi que leurs applications. D’autres encore évoquent des usages de substances qui relèvent davantage de l’hédonisme et de la libération de l’expression culturelle et artistique. C’est certainement cette veine-là qui a le plus inspiré l’art visuel du cinéma.
Si un coup d’oeil dans le miroir ne vous effraye pas, venez vous en mettre plein les pupilles.