Depuis la sortie de 28 Days Later, le thème du mort-vivant opère un retour en force. Le moment était donc venu d’en faire le thème central de notre rétrospective au Cinéma Nova. Figure un tantinet marginale du panthéon du cinéma d’horreur, le zombie a envahi l’imaginaire mondial depuis le succès de la Trilogie des Morts-Vivants de Romero.
Avec Night of the Living Dead (1968), Romero donne une version moderne du mort-vivant, jusque-là cantonné à l’exotisme vaudou et autres sorcelleries haïtiennes (White Zombie, avec Bela Lugosi de 1932, I Walked with a Zombie, de Jacques Tourneur en 1941). Dans le même temps, il modernise aussi le film d’horreur. En y ajoutant une bonne dose de satire sociale et de critique de la vie américaine, il arrache l’horreur à sa gangue gothique et mythologique et l’envoie en pleine figure d’un certain provincialisme américain. Avec The Crazies (’73), Dawn of the Dead (’79) et Day of the Dead (’85) Romero enfonce encore le clou, en faisant de ses zombies cannibales la métaphore de la folie consumériste, des inégalités sociales, de la haine raciale et de la surmilitarisation.
Le succès commercial de Night et, dans une moindre mesure, de Dawn of the Dead, ne passera pas inaperçu. Dans le sillage de ces deux films arrive une horde de copies et de variantes plus ou moins éloignées de l’original, autant aux Etats-Unis que, un peu plus tard, en Europe. Les zombies deviennent ainsi une valeur sûre du box-office. Jorge Grau (The Living Dead at the Manchester Morgue) et Amando De Ossorio (la tétralogie des Templiers Morts) en Espagne font les beaux jours du genre ; Andrea Bianchi, Bruno Matei et Joe d’Amato en Italie arrivent, en trois ans de temps à peine (1979 - 1981), à totalement épuiser le filon.
Un réalisateur, pourtant, arrive à sortir du lot : Lucio Fulci qui, avec ses films plus métaphysiques et cérébraux comme Zombie 2 (’79), City of the Living Dead (’80) et The Beyond (’81), détourne le thème du zombie de son contexte social. Le réalisateur ne les voit comme rien d’autre qu’une figure impersonnelle, sans âme, un bout de viande ambulante en somme, et par là même une représentation effrayante de la Mort et de l’Enfer (version catholique). Tout comme ses collègues italiens et par opposition à la vision américaine, l’interaction entre les personnages prend chez lui le pas sur l’intrigue, d’où résulte une attention moins grande portée à la cohérence et à la vraisemblance et une plus grande désorientation spatiale et temporelle. Le pur spectaculaire y a plus d’importance que l’aspect scénaristique. Fulci est, pourrait-on dire, un maître de la "scène gratuite" : une victime est poursuivie par un ou plusieurs zombies et sera tuée de la manière la plus originale et spectaculaire possible au cours d’une scène où le dialogue devient secondaire, si pas inexistant. Ce sont les organes les plus douloureux, principalement l’¦il, qui sont chez Fulci l’objet de la plus grande violence.
Il ne faut cependant pas oublier que l’arrivée du personnage du zombie profite pleinement de deux facteurs : l’assouplissement de la censure et les énormes progrès en matière d’effets spéciaux, grâce auxquels les scènes acquièrent une puissance graphique encore inimaginable quelques années plus tôt. Les années ’70 voient arriver un impressionnant catalogue de corps décharnés, lacérés, à moitié décomposés. Des maquilleurs comme Tom Savini ou Gianetto De Rossi en ont fait leur spécialité. Leur envie de se dépasser continuellement - en représentations encore plus sanguinolentes de violences de plus en plus grandiloquentes - ont tiré le genre vers la parodie grand-guignolesque, amusante mais néanmoins assez unidimensionnelle. Au cours des années ’80, le film de zombie est de moins en moins pris au sérieux. Return of the Living Dead de Dan O’ Bannon, Evil Dead de Sam Raimi, Re-Animator de Stuart Gordon ou encore Braindead de Peter Jackson laissent peu de place à l’imaginaire. D’autre part, des films de série Z comme Redneck Zombie, I was a Zombie for the FBI, Zombie, Campus ou Kung-Fu Zombie relèvent carrément, comme leur titre le laissent déjà deviner, de l’encéphalogramme plat. Le zombie perd là sa dernière once de crédibilité et est relégué aux oubliettes de l’histoire du cinéma jusqu’à l’arrivée d’une nouvelle vague de films tels Versus (Ryuhei Kitamura, 2001), Dead Creatures (Andrew Parkinson, 2001) ou 28 Days Later (Dany Boyle, 2002).
Comme à son habitude, la rétrospective au Cinéma Nova délaissera les sentiers battus. Nous avons voulu élargir la thématique du mort-vivant et la détacher de la pure vision organique du film de zombie. Le choix de programmer Carnival of Souls (’62) de Herk Harvey, film qui a fortement influencé Romero pour la réalisation de Night est exemplative de cette approche plus existentielle, spirituelle mais aussi plus inquiétante du thème du passage de la vie à la mort. Des films aussi singuliers et rares que Zeder, Messiah of Evil ou Jacob’s Ladder jouent consciemment de cette frontière entre la réalité, l’indécidable et l’imaginaire. Ces films tentent plus de travailler sur le subconscient et utilisent une série de techniques cinématographiques décalées et aliénantes pour provoquer une sourde angoisse de mort. Unheimlich, l’inquiétante étrangeté, un terme indéfinissable pour décrire ce qui n’est pas définissable, est sans doute ce qui semble le plus convenir ici : ce qui est inquiétant, bien que connu et pourtant étrange. "Quelque chose est Unheimlich" écrit Freud dans son ouvrage éponyme "quand la frontière entre le phantasme et le réalité s’efface, quand quelque chose nous est présenté comme la réalité, alors que nous l’avons toujours considéré comme un produit de l’imagination".
Le cinéma fantastique va donc une fois encore montrer son visage le plus étonnant à travers cette rétrospective au Cinéma Nova. Pas moins de 16 films, dont quelques perles rarement vues sur grand écran en dehors des Etats-Unis, s’offriront à la (re)découverte.